Rencontrer Johannes Eckerström, c’est plonger dans un esprit aussi théâtral que visionnaire. Avec “Don’t Go in the Forest”, Avatar signe un nouvel album comme toujours audacieux avec quelques pépites incontournables (la marche militaire en introduction est absolument géniale !). Cet album confirme une fois de plus la place unique d’Avatar dans le Metal moderne. Nous avons également parlé des 25 ans de carrière du groupe, de leur évolution sur la scène mondiale et de ce qui rend l’éducation musicale suédoise si fertile pour les créateurs hors normes. [par François Capdeville]

“Don’t go in the Forest”... Avez-vous été traumatisé par la forêt quand vous étiez enfant ?
J’ai toujours été fasciné par l’interdit quand j’étais gamin. Bien avant de tomber dans le chaudron du Metal, j’étais attiré par les programmes de jeunesse un peu bizarres et dark. Il y a toujours eu un dessin-animé ou un film avec une musique d’intro inquiétante. Les clips de Michael Jackson m’ont hanté avec en premier lieu "Thriller".
Je pense aussi aux Contes de la Crypte et à ces moments passés en Suède autour d’un feu où l'on se racontait des histoires de fantômes. Je crois qu’en quelque sorte, j’étais déjà façonné pour faire le plongeon dans l’univers fantasmagorique du Metal. Bref j’étais ce gamin qui te disait d’éteindre la TV, mais qui rallumait aussi tôt pour regarder.
Le titre « Don't Go In the Forest » sonne comme un avertissement. Entre sarcasme et poésie, l'album nous invite à affronter nos peurs plutôt que les éviter...
Il y a beaucoup à dire sur le choix de ce nom d’album. Il faut dire qu’au début, « Don't Go In the Forest » était juste une chanson. Mais, le concept a fait son chemin et a alimenté notre réflexion pour créer un concept. Celui de cette forêt interdite, malaisante. Celle de Twin Peaks, celle qui abrite une mystérieuse loge, celle des sorcières et des ogres. Le titre peut faire office d’avertissement... Il s'agit de cette forêt où il fait froid et sombre. Mais, même au plus profond de la forêt, on peuty trouver une lumière rassurante, une vieille chaumière pour y trouver refuge... Bien que je conseille de rester vigilant... On ne sait jamais sur qui on pourrait tomber dans cette vielle maison perdue.
Tu comprendras donc que le thème de la forêt interdite est un thème qui colle bien au Metal. Je rappelle que nous faisons du Metal pour parler de douleur, de peur, de colère, de perte... Le Metal est parfois une catharsis comme ce titre qui t’enjoint à affronter tes peurs pour te libérer de tes traumas d’enfant.

“Howling at the waves” est un titre qui nous a marqué car en plus d’être magnifique, c'est un titre qui parle d’amour avec beaucoup de sensibilités, ce qui est inhabituel dans le Metal. “Howling at the waves”ressemble à une confession d'amour.
Oui, on peut dire que c’est une chanson d’amour. Mais il faut lire entre les lignes. Ce n’est pas juste à propos de “toi et moi, on s’aime pour la vie”. C'est plus une invitation à réfléchir sur la résilience du couple. Quoiqu'il se passe, on y va ensemble ! Affrontons la vie ensemble ! Ce titre est tiré d’un rêve que j’ai fait dans une période un peu chargée pour nous en tant que couple. Nous étions dans l’eau et les vagues nous repoussaient loin de la plage, et nous éloignaient l’un de l’autre, et cette plage devenait verticale, impossible à regagner... Je voyais qu’elle avait peur...Et je me suis réveillé... Ravi que tu aimes ce titre en tout cas !
25 ans de carrière, 8 albums, des shows dans toutes les régions du monde, l’opening d’Iron Maiden. Quand vous repensez à votre carrière, de quoi êtes-vous le plus fier ?
De nous ! De savoir que l’on continue à faire de la musiquer ensemble depuis toutes ces années, avec passion. Au tout début, notre but était d’écrire nos propres titres, d’enregistrer notre musique et d’amener le groupe aussi loin que possible, dans la mesure où nous restions amis. Tu me parles d’Iron Maiden, c’est top ! Et j’en suis fier. Mais, je suis surtout fier de ce voyage, d’avoir joué nos titres devant un public et d’avoir partagé cette expérience avec tout le groupe. Ta question me fait penser à Avicii, le jeune dj suédois qui a fait un burn-out et qui en est mort. Je le revois dans l’avion quittant un dj set pour aller à une autre fête. Il est si seul, alors que toujours entouré. Autour de lui, des gens pour le guider, lui dire quoi faire, gérer sa vie... Nous avons la chance d’être une équipe soudée depuis longtemps et nous pouvons compter les uns sur les autres. Dans la vie des plus grands groupes, il y a des hauts et des bas. On ne sait pas où nous serons dans 10 ans, mais on sait que tant que l’on se tient à nos convictions, nous serons solides.
La presse et les fans décrivent souvent Avatar comme l'un des nouveaux piliers dans le monde du Metal / une force positive dans le Metal. Qu'en pensez-vous ?
J'apprécie ce que tu me dis. Mais je dois dire que je suis assez fort pour prendre de la distance avec les choses positives comme négatives, de telle manière que je ne me sens pas affecté. Nous sommes des ambassadeurs du Metal ? Why not ! Ok. Merci. Mais, ce qui m’importe, c’est surtout de voir comment on avance en tant que groupe dans notre chemin et ce qui va continuer à nous exciter en tant qu’artistes. Nous ne cherchons pas à faire quelque chose de grand au nom du Metal ou pour le Metal. Nous voulons surtout apporter quelque chose de nouveau à la table du Metal... Nous avons toujours nos gueules de teenagers passionnés de Metal et nous pensons d’abord à notre musique.
Vous reconnaitrez qu’en tant qu’artistes vous exercez une influence sur les gens ?
Je me souviens de cette fille qui a passé beaucoup de temps à l’hôpital, suite à un accident. Ses médecins lui ont dit qu’elle ne pourrait probablement plus remarcher. Et elle a écouté "Bloody Angel", sans arrêt, encore et encore. Et un jour elle est venue à un de nos concerts pour nous dire qu’elle avait remarché grâce à cette chanson. Je lui suis reconnaissant de ce témoignage, mais pour moi, c’est elle qui est à l’origine de ce miracle. On est là pour t’inspirer. Mais c’est en toi que réside le pouvoir de faire des choses. Je suis reconnaissant de savoir que l’on fait partie de la vie de certaines personnes, sans qu’on les connaisse. C’est une bénédiction pour les musiciens. Je crois surtout au pouvoir de la musique plus qu'à l’influence d’un groupe. De mon côté, la musique de Black Sabbath ou Devin Townsend ont été d'une grande influence. Mais les artistes ne sont qu’un vecteur, un transporteur du pouvoir de la musique.
Vous êtes un groupe confirmé dans le monde du Metal, un de ces groupes qui a la capacité de proposer quelque chose de nouveau. Vous avez joué avec Iron Maiden. Quelle est la prochaine grande étape que vous aimeriez qu'Avatar franchisse ?
Continuer à jouer ensemble ! Nous avons survécu à notre jeunesse, à squatter ensemble dans une piaule embaumée par nos odeurs d’ado. On a survécu à nos Wild Years. Et l’idée d’être encore ensemble vieux, avec un médecin pour prendre notre tension, en train de péter ensemble et se demander comment on peut continuer à réinventer Avatar, ce serait formidable.
Comment ce petit pays d'environ 10 millions d'habitants a cette capacité à donner de la lumière à des milliers d'artistes majeurs dans chaque genre de musique. D'Abba à Opeth, d'Avicii à Swedish House Mafia, de Roxette à Ace of Base, de Malmsteen à Ghost ?
Chez nous, l’après-midi est dédié aux activités sportives et artistiques. Et les enfants apprennent la trompette, la clarinette, la batterie... et même si ce n’est pas gratuit, l’activité est beaucoup moins chère qu’ailleurs. Les enfants peuvent emprunter les instruments. Ils grandissent avec cette facilité et ils se rencontrent et tentent des trucs. Et ensuite, on bénéficie aujourd’hui d’une confiance de l’industrie, car la Suède bénéficie d’une très bonne réputation. Il en va de même pour les voitures allemandes et le vin français. Et pourtant il y’a des bons vins en Slovénie par exemple. Mais on fera plus confiance à un vin français. En Suède, c’est pareil pour la musique.
Nous sommes tout petits, mais nous avons des groupes internationaux qui ont grandi dans des petites villes. Est-ce que tu connais Fagersta ? Bien sûr que non, mais tu connais The Hives, Not Fun At All. Meshuggah est né à Umeå, comme le chanteur de Refused et le groupe Cult Of Luna. Les enfants des collègues de ma mère sont les membres d'Hammerfall. Tu sais avoir In Flames à une encablure de chez toi facilité l’accessibilité à la musique et de se dire que c’est possible de devenir un groupe reconnu. Disons qu’entre l’aide de l’état, les cours de musique à l’école, l’ouverture à la musique... en Suède, tu peux te tromper de carrière et revenir à l’école si ça ne marche pas pour embrasser un autre métier. Je pense à ma femme, qui est italienne. Un de ses amis est un grand guitariste... mais ses parents lui ont dit qu’il ne pourrait pas en faire un métier stable. En suède, j’ai dit à mes parents, je veux avoir un groupe. Eh bien ils m’ont dit : "Ok. Vas-y..."
Si Johannes, 10 ans, était ici avec nous, quel conseil lui donnerais-tu pour l'aider à affronter l'avenir ?
Je ne sais pas s’il m’aurait écouté. Si j’avais su, je lui aurais dit : "Prends soin de ton corps, soit discipliné". Concernant le côté créatif... Vers 13 ans, j’ai commencé à cherche de la structure dans ma vie... "discipline" était un mot effrayant, pas cool. En réalité, la discipline est indispensable pour apprendre la patience et progresser. J’ai toujours été un bon élève à l’école parce que j’avais des facilités, je mémorisais très facilement. Je n’avais pas besoin de faire beaucoup d’effort. Mais, en réalité j’allais là où j’avais des facilités sans ténacité... cela dit, peut-être que si j’avais été plus courageux, j’aurais eu un autre job plus ennuyeux que le mien !
Retrouvez ici la chronique de Don't go in the Forest !
