17/6/2025

50 nuances de black à Denain

Arrivés dans la ville de Denain en fin d'après-midi, l'atmosphère est étrange. Cité typique d'une époque industrielle glorieuse, on ne s'attend pas forcément au saisissant spectacle qui nous attend lorsqu'au détour d'un virage, le théatre municipal s'impose de toute sa stature, surplombant la ville de sa hauteur. Forcément, le contraste est cinglant entre les silhouettes sombres qui s'amassent au pied des escaliers et la paleur de la pierre. Et pourtant, y installer un festival de metal est d'une évidence absolue.

À l'intérieur, c'est l'ambiance qui nous saisit. On se retrouve projetés dans une Italie de la Renaissance avec son plafond, ses dorures, ses sièges rouges... et encore une fois, habitués aux festivals boueux et aux salles bétonnées, nous sommes franchement ébahis de nous retrouver en pareil lieu pour célebrer la musique des furieux.

C'est à Imha Tarikat que revient l'honneur d'inaugurer cette soirée placée sous le signe du black metal, et si la tradition laisse entendre qu'on part en général de la surface chaude et réconfortante d'une mer d'huile pour s'enfoncer vers les abysses au fil de la soirée, sachez que chez In Theatrum Denonium, on fait carrément l'inverse. Et pourquoi pas, après tout ? C'est ainsi qu'Imha Tarikat déboule sur scène, les visages peinturés de noir, les regards fous et l'âme enflammée. En tout cas, c'est l'effet que nous a fait ce chanteur qui, à coup de hurlements dignes d'un véritable exorcisme, a empli le théâtre d'une rage salvatrice. Somme toute, il y a ceux qui extériorisent par les mots, et il y a Imha Tarikat, qui, sur fond de black cinglant, a délivré la prestation vocale la plus intense et singulière de la soirée.

Bon, pas sûr que l'horizon soit plus clair pour le prochain groupe, néanmoins, on a moins le sentiment de se trouver face à une expression brute et pure d'émotions (ce qui est loin d'être négatif, ne vous méprenez pas) que devant un travail plus scénique. Si le Brésil vous évoque le Carnaval coloré de Rio, ou encore Sepultura et ses percussions signées, laissez-nous vous présenter sa scène la plus black. Thy Light joue de ses lumières et de son ambiance pour nous attirer vers sa messe noir. Candélabres et toges cryptiques, c'est avec un black terriblement sombre et mélancolique que se poursuit la soirée. On est particulièrement sensibles à ce type de proposition où la violence du black est largement contrebalancée par l'effacement des musiciens et l'aura générale, comme si le Diable avait été étouffé sous un oreiller, et que ce qui nous parvenait étaient les relents de son message porté par d'anonymes disciples, ici, au Théâtre de Denain.

Il est l'heure de franchir un nouveau cercle de l'enfer de Dante. Winterfylleth rappelle à nous des sonorités perdues, comme un souvenir égaré quelque part au milieu des gouffres insondables et des geysers brûlants du 4ème sous sol : celles d'une voix claire. Les britanniques débarquent avec leur black atmosphérique teinté de légendes, entre puissance et mélodie, comme un clair-obscur qui vient percer les nuages, propageant une certaine allégresse dans une fosse qui trouve alors un second souffle.

L'impatience envahit la fosse. Dans quelques instants, la formation italienne qu'on ne présente plus, Flesghod Apocalypse, va fouler les planches du théâtre pour qui il semble d'ailleurs avoir été conçu sur mesure. Le rideau s'ouvre sur Véronica Bordacchini, la chanteuse lyrique (mais pas que) qui tient le drapeau italien d'une main ferme, à l'image de la couverture d'Opera, leur toute dernière production. Impossible de ne pas ressentir de frissons jusqu'à la moelle face à pareille entrée en matière, surtout quand elle entame Ode to Art de sa voix angélique.

Le show se déroule alors comme un enchaînement de tableaux d'une Italie renaissance qui résonne tout particulièrement dans un théâtre comme celui de Denain. Comme aura l'occasion de le saluer le groupe, le lieu est tout de même magistral, et offre, en sus d'un décor fabuleux, la chance inestimable de pouvoir n'être qu'à quelques pas de la scène, et donc, de ces groupes qu'on ne voit jamais d'aussi près. Alors forcément, l'immersion dans l'univers pittoresque (au sens premier du terme) de Fleshgod Apocalypse n'en est que renforcée.

La setlist parcourt tous les albums de la formation italienne, et fait bien sûr la part belle à Opera, dernier en date. « Sugar », « Epilogue », « No » et son hommage à Britney Spears qui résonnera dans les tréfonds du théatre ... autant de classiques à mêler aux excellentes nouveautés « Bloodclock » et « Pendulum ».

Scénographie léchée, show digne d'un headline de grosse salle parisienne, un finish avec la désormais célèbre reprise de « Blue » pour clôturer cette soirée, et certainement faire écho à ce sentiment qui ne nous quitte pas depuis la première heure : nous avons rejoint la lumière rassurante d'une mer bleue, quelque part au large des côtes italiennes après avoir visité les entrailles de la Terre.

Alors que penser d'In Theatrum Denonium, ce festival à taille humaine qui ne lésine pour autant pas sur la programmation ? Eh bien, chanceux sont ceux qui ont eu l'occasion de fouler son sol en cette soirée de mars. Le lieu est exceptionnel, la programmation offre toutes les couleurs du black sur un plateau d'argent, l'ambiance est amicale, presque familiale si j'osais. On ressort du théâtre avec l'impression persistante que l'on a assisté à une pièce, de celles qui nous font voyager, d'une brutalité presque animale par Imha Tarikat et primaire vers l'ère religieuse de Thy Light, puis au temps des contes et légendes avec Winterfylleth jusqu'à une Renaissance italienne dans toute sa splendeur avec Fleshgod Apocalypse. Des méandres des ténébres et de son black abrasif vers la mélodicité d'un death tantôt teinté de noir, tantôt revêtant ses habits de lumière.

In Theatrum Denonium est un festival hors du commun, alors si vous avez l'occasion de passer les portes du théatre de Denain, n'hésitez pas une seule seconde, vous ne regretterez pas le voyage.

Report par Annaëlle Moss

Photos par Fabian PTNZ

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