4/6/2024

Diabolus in Musica, l'exposition

Grande première exposition dédiée au métal en France, l’exposition Diabolus in Musica s’attache à explorer les nombreuses sources d’influence du metal, tant dans la musique que dans les beaux-arts, le cinéma, la littérature, et à présenter ses principales expressions, musicales et matérielles. La Philharmonie de Paris réussit-elle à relever le défi d’explorer tous les aspects de notre riche communauté ? C’est ce que nous allons voir.

Attention, SPOILERS !

I. Présentation du parcours

Le parcours s’ouvre sur un mur d’enceintes Marshall et sur une vidéo de concerts du Hellfest. Dès le début, le metalleux entre en terrain connu. Il aperçoit, au-delà du mur, une première salle à la lumière contrastée, jouant sur les ombres et éclairages plus crus, attirant le regard sur des objets choisis, qui surnagent comme points de repère dans un océan de ténèbres.

La première salle, “Mythes fondateurs”, part du postulat que le metal naît de l‘influence de trois grands groupes : Black Sabbath, Deep Purple et Led Zeppelin. La scénographie présente des albums, photographies, et memorabilia liées à ces groupes mythiques, tandis qu’une vidéo fait résonner des morceaux emblématiques issus de live shows. Le visiteur peut admirer la guitare de Tony Iommi, un costume de scène de Ozzy Ozbourne ou une réplique pour enfants de la batterie de John Bonham, sous une lumière descendante qui rend l’atmosphère presque solennelle.

La plus grande salle du parcours, “Imaginarium”, s’attache à mettre en évidence les liens forts entre l’esthétique metal et ses influences (artistiques, littéraires, cinématographiques), et son expression dans des œuvres contemporaines. Un mur entier d’albums, “Le Retable des Vinyles”, met par exemple en parallèle l’art des cover d’albums avec leur vraies équivalences muséales, tandis qu’une oeuvre originale de Hans Rudi Giger, accolée d’une réplique du monstre du film Alien dont il est le créateur, rappelle l’influence de l’artiste sur l’esthétique metal. La création contemporaine se manifeste à travers des pièces de collection exceptionnelles (guillotine de Alice Cooper, arbalète pyrotechnique de Rammstein, masques de scène originaux…), et des créations inspirées (vitrail en l’honneur de Lemmy Kilmister, séries photographiques de Ester Segara ou peintures de Chloé Trujillo), montrant le potentiel fort de notre culture dans le renouvellement d’esthétiques.

La troisième salle, dite “La Chapelle”, est une des plus passionnantes de la visite : dans un décor inspiré du gothique, elle présente les différents genres et sous-genres de métal, ainsi que des pièces iconiques. Les oreilles peuvent se réjouir d’extraits musicaux nombreux, illustrant les tendances (Lamb of God, Nightwish, Lorna Shore, KISS,...), et les yeux s’émerveillent de la beauté de grands vitraux, hommages à des figures phares des mouvements. Guitare-hache de Gene Simmons, moto de Nikki Six, tenue de scène de Sabaton ou de Thyrion, il y en a pour tous les goûts et toutes les sensibilités.

La quatrième salle s’attarde sur les spécificités du metal français, et met à la disposition du public un jukebox de metal made in France. Le visiteur clique sur des icônes en forme de mini-tickets de concert, et immédiatement, des sons connus résonnent : Blackrain, Igorrr, Ultra Vomit, Gojira… Il est tentant de tout écouter, car de nombreuses pépites s’y cachent. La mise en scène est interactive, chaque sélection de musique activant un projecteur qui se calque sur une photo au mur, liant son et image. Cette petite salle, dans laquelle trône un set de batterie de Mario Duplantier, est une des plus édifiantes de l’exposition, donnant visibilité à des groupes moins connus que d’autres mastodontes européens.

La cinquième salle, “Culte Collection”, porte sur le merchandising, et offre à voir, au bout d’un couloir orné de nombreux t-shirts de groupes, une superbe reconstitution d’un salon idéal de metalhead. Vinyles en pagaille, boots NewRock au sol, les amateurs retrouvent avec plaisir des éléments de leur quotidien : vestes à patch (dont une, très belle, de Rob Zombie), posters, dessous de verre, badges. Un mur de magazines rappelle également l’importance des fanzine metal avant l’ère d’Internet, et même encore aujourd’hui, à l’instar de Metal Hurlant, icône de presse toujours en activité, ou de la très récente publication Requiëm, “une histoire de la presse hard/heavy/metal en France dans les années 1980-90”.

Une sixième salle, intitulée “Controverses et engagements”, revient sur les divers scandales métalliques des années 90 et 2000, sans toutefois s’y attarder, préférant mettre l’acccent sur les engagements des artistes d’aujourd’hui, à l’instar du groupe français Gojira sur le sujet de l’écologie, ou les prises de position de System of a Down pour la reconnaissance du génocide arménien. Le visiteur peut ensuite profiter d’une fosse virtuelle dans laquelle, entouré de trois écrans en vision spectateur projetant un concert du Hellfest, il se retrouve au milieu d’un public déchaîné, pogotant, tournant en cercles, faisant un wall of death, toutes ces pratiques que nous apprécions et appliquons dans nos univers métalliques.

La dernière salle, “Guitar Heroes”, est dédiée aux figures mythiques des guitaristes du metal et hard rock, et expose les guitares des plus grands noms du genre (Joe Satriani, Van Halen, Yngwie Malmsteen…). L’exposition se termine sur une grande fresque des genres et sous-genres et des liens entre eux, laissant entrevoir la complexité des influences musicales au sein même de la musique metal.

II. Critique de l’exposition

Présenter le metal dans son intégralité n’est pas une mince affaire. Bien loin des clichés, le genre est d’une rare diversité, multipliant les manifestations, thèmes et influences. De fait, il est impossible de tout raconter. L’exposition, d’une durée d’environ une heure trente environ pour les personnes souhaitant tout lire, fait de son mieux pour condenser cet univers si vaste : ses sources, ses formes matérielles, musicale, artistiques... Il est donc inévitable que certains visiteurs puissent se sentir un peu déçus par la durée de l’exposition, ou trouver son approche trop en surface.

De fait, si elle peut satisfaire la communauté metal par la présence de nombreux objets iconiques, l’exposition semble moins s’adresser à elle qu’à des personnes ne connaissant pas le metal. Dès le début, la volonté de déconstruire les clichés auprès d’un public non-informé est très présente : en cela, l’exposition parvient à donner une image globale et compréhensive des éléments fondamentaux du style. Cependant, à trop vouloir donner une “bonne” image du metal, loin des clichés de vulgarité, de sang et de satanisme, l’exposition s’attarde un peu trop sur ses formes “nobles”, comme si elle cherchait à justifier l’existence du genre au sein du musée, et assurer de sa légitimité culturelle.

Les nombreuses comparaisons faites entre de très grands noms de la culture dite des “beaux-arts” (tableaux de Caravage, sculpture de Rodin, littérature classique…) et la communauté metal, si elles cherchent avant tout à illustrer les échanges entre ces arts en apparence incompatibles, prennent beaucoup de place dans l’exposition (physiquement, par la taille de la pièce principale qui aborde ce sujet, et dans le récit), au point d’empiéter sur des formes plus populaires, plus jouissives et plus réalistes du milieu metal. Le choix d’une approche très formelle de notre communauté, a contrario d’une approche anthropologique, peut créer un décalage élitiste avec un public qui ne possède pas forcément de telles références, et peut par-là se sentir exclu du sujet. L’utilisation récurrente des œuvres de l’artiste contemporain Wim Delvoye, laissées à la contemplation purement formelle, sans explication pour visiteurs non avertis, laisse par exemple penser que le public cible de l’exposition n’est pas celui du milieu metal, mais bien un public amateur d’art. Les beaux-arts et le metal ne sont certes pas ennemis, mais on peut se demander si cette approche est la plus juste pour illustrer toute la richesse de notre communauté. Pour ma part, j’ai préféré aux salles plus “nobles” les salles présentant une réalité plus proche de notre quotidien, à l’instar de celle sur le merchandising ou l’excellente salle juke-box.

Cherchant à s’éloigner des clichés au point d’en faire un récit presque hagiographique, l’exposition pèche aussi par son manque de transparence sur les controverses actuelles du metal, qui, ces dernières années, ont été longuement relayées sur les réseaux sociaux (violences dans le milieu de la musique, absence de diversité dans les groupes, groupes problématiques…). Loin d’aborder ce sujet, la section “Controverses & Engagements” reste dans le passé et insiste sur les engagements présents, créant ainsi un décalage avec les personnes qui vivent et peuvent témoigner de ces nouveaux questionnements dans notre grande communauté. Il aurait été pourtant été intéressant de voir quelles étaient les actions mises en place pour résoudre ces questions, et terminer l’exposition sur une note positive.

CONCLUSION

Diabolus in musica est une première exposition tout en beauté, destinée à impressionner un public d’amateurs qui s’émeuvra devant des reliques précieuses, ou à destination de non-initiés qui sauront se faire rassurer : le metal n’est pas un genre de barbares. Cependant, une plus grande parole donnée aux intervenants du milieu, sous forme d’interviews ou d’extraits, aurait peut-être davantage participé à la déconstruction des clichés qui cernent notre milieu, plutôt qu’une exposition préférant une approche organique et immersive, sans médiation réelle (absence de parcours bien défini, comparaisons formelles pas toujours évidentes…). Elle laisse les adeptes du metal un peu sur leur faim, par son choix d’ignorer tout un riche pan de notre culture : son aspect transgressif et politique.

Devrions-nous cacher notre dimension transgressive ? Le metal dans ses formes les plus provocatrices serait-il un genre incompatible avec des institutions très classiques comme la Philharmonie ? Comment mettre en lumière ces dimensions dans l’espace des musées ? La BNF l’a récemment fait avec les archives de Bérurier Noir. Nous pouvons espérer qu’à l’avenir, Diabolus in Musica, en rendant le metal accessible à tous et normalisant son existence au musée, donne l’opportunité à d’autres établissements d’en présenter une nouvelle approche plus en nuances.

Texte: Blandus

Photos: François Capdeville

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