Aujourd’hui sort le nouvel album des Dead Daisies. Un album spontané et brut qui rend hommage aux grands classiques du blues. Nous avons rencontré l’immense guitariste Doug Aldrich avec qui nous avons discuté de ses influences musicales, mais aussi de sa rémission de son cancer de la gorge et de son retour sur scène. (Par François Capdeville)

« The Thrill is Gone », titre mythique de BB King, fait partie de vos reprises. Doug, selon toi, comment faire pour retrouver « le frisson » / « the thrill » ?
Ce n’est pas bien compliqué… Il faut juste savoir lâcher prise et sentir la musique monter en soi. Avec le temps, je me rends compte qu’en tant qu’artiste, nous travaillons dur pour créer quelque chose, on veut donner le meilleur au public et le satisfaire et je pense qu’on se met parfois trop de pression et que l’on oublie de sentir les choses, de suivre son intuition et son feeling. Cet album illustre parfaitement cette approche de laisser une chanson filer. Stop thinking and just play ! Et tu réalises que le thrill a toujours été là en réalité. C’est à toi de te (re)connecter.
Parle-moi des moments dans ta carrière où tu as éprouvé ce frisson ?
Il y en a évidemment eu plusieurs. Je vais prendre l’exemple du processus de création de « Lookin’ For Troubles ». Si tu me demandes de travailler sur un album de blues, et bien je vais faire un peu de recherche, je vais m’y préparer. Mais là, on y est allés sans être préparés. On s’est retrouvés dans le studio et dans la discussion, on s’est dit que "Crossroads" était un bon classique que nous serions contents d’interpréter. « Doug, comment tu le joues ? ». Alors, je le joue comme ça [Doug chante le riff]. Un autre : « Doug, as-tu une autre manière de le jouer ? ». Je change l’attaque avec un son plus lourd. « Ok, perfect Doug. That works! ». Et c’est comme ça qu’on a construit l’album.
La veille de cette interview, tu étais de retour sur scène en France (au Forum de Vauréal) suite à ta convalescence. Quelle a été ton expérience ?
Ooooh oui ! Une bien belle expérience ! Tous ces gens qui souriaient. C’était merveilleux. On a eu beaucoup de plaisir. Je vais te confier, qu’on a dû correctement interprété les titres à 75%. Mais en réalité, ce n’est jamais parfait… Mais, c’est comme ça, on fait du rock n’ roll et on joue vraiment sur scène.
Je pense que les gens en réalité n’en ont cure… ils veulent juste vivre une expérience…
Tout à fait. C’est le rock ‘n roll. Il faut que ça te prenne aux tripes.
Tu te souviens quand tu es remonté sur scène après ta période de convalescence ?
Oui, c’était il y a deux semaines en Hollande. Remonter sur scène était une bénédiction pour moi. Ma foi en Dieu est devenue encore plus forte. La musique et la scène font partie de ma vie.
Tu sais, quand j’ai appris l’été 2024 que j’avais le cancer, j’étais contrarié. J’ai arrêté de boire de la bière et du vin. C’était la première fois dans ma vie où j’ai dû faire un choix contraignant, contre mon plaisir. Maintenant que je suis guéri, je veux vivre chaque chose à fond, mais en prenant soin de ma santé. Certes, je bois une bière de temps en temps ou du vin. Mais, je veux avoir toute mon acuité. Je veux sentir les choses de tout mon être. Je veux savourer chaque instant. Je veux être en pleine forme chaque jour.

Un nouveau Doug Aldrich en somme…
Je suis heureux de me sentir renouvelé, frais. J’ai la même sensation que j’ai éprouvée juste après la pandémie. Souviens-toi cette sensation étrange de se retrouver en public, de se toucher, de se serrer les mains, de remonter sur scène et de communier ensemble au nom de la musique.
Quand tu as un problème de santé, tu ne sais pas comment ça va évoluer. Grâce à l’intervention des médecins, tout va aujourd’hui pour le mieux. Mais j’ai été très inquiet. Mon seul conseil aujourd’hui est de profiter au maximum de ses journées et de ses nuits, quelle que soit la situation. Parfois la vie est injuste. J’ai des amis qui fument à longueur de journée ou qui boivent plus que la normale. Des hédonistes. Et pourtant ils vont bien. Certains fous furieux vivent jusqu’à 100 ans ! It’s crazy ! Tant mieux pour eux. Maintenant je m’adapte à cette nouvelle vie que l’opération m’a donnée. Je suis heureux.
As-tu conscience que l’art rend les artistes éternels ?
Je crois que l’art est une finalité pour moi. J’essaie de donner le meilleur avec ma guitare. J’apprends tous les jours et je donne ma musique aux gens. C’est une récompense pour moi quand ma musique les incite à aller mieux, à se prendre en main ou aller de l’avant.
35 ans de carrière au compteur, entouré des plus grands artistes. De quoi es-tu le plus fier ?
Il est vrai que grâce à la musique, j’ai pu accomplir beaucoup de choses avec succès. Ma carrière avec Whitesnake par exemple. J’ai travaillé dur pour y arriver. Mais je pense que ma plus grande satisfaction est d’avoir pu être un soutien pour ma famille. C’est mon job.
Est-ce qu’avoir un album de blues dans sa discographie est un incontournable pour un guitariste de rock ?
Je ne pense pas que ce soit un accomplissement en soi. Mais, je crois qu’en tant que guitariste de rock, c’est une bonne chose. Tu sais, j’ai grandi avec "Boom Boom" ou "Sweet Home Chicago" et je suis ravi d’interpréter ces titres en y ajoutant ma patte. Je ne vais pas te l’apprendre, tout vient du blues. J’ai grandi avec Led Zeppelin et Jeff Beck qui sont mes principales sources d’inspiration. Ils viennent du blues. Regarde Gary Moore. Il a démarré comme guitariste de blues rock, pour ensuite embrasser une carrière plus Rock Heavy et il est revenu au blues.

Quel est ton titre préféré de « Lookin’ For Troubles » ?
"The Thrill Is Gone" sans hésitation. Car on l’a quasi enregistré en une seule prise. Le solo est sorti tout seul, de mon cœur. Evidemment, je connais la trame musicale, mais je suis laissé porter. À l’issue de l’enregistrement, j’ai dit à l’équipe que le solo était un peu long. Mais, tout le monde a insisté pour le garder. J’ai lâché prise dans mon espace-temps et je crois que l’on tient un beau solo. Tu vois je ne suis même pas certain de pouvoir reproduire le même solo à la note près.
Vous avez enregistré dans un studio mythique, le Fame Studios. Qu’as-tu ressenti en franchissant le pas de la porte ?
C’est comme une autre dimension où le temps s’est arrêté. Rien n’a bougé. La moquette, le bois, les meubles. Au mur, il y a les photos de ces artistes monumentaux. Aretha Franklin… C’est comme un lieu sacré où tu marches avec respect. Et Il ya quand même une forme de pression en tant que musicien pour honorer le travail de ces légendes.
Figure-toi que l’équipement du studio est vieux. J’ai l’habitude du stéréo mix. Avec la guitare ici, la batterie là-bas… J’avais perdu mes repères. Ça m’a rappelé les premières fois que j’ai enregistré au début de ma carrière. Les anciens travaillaient comme ça, et je crois que le son de notre album en découle.
Si le petit Doug de 10 ans était en face de toi, maintenant. Quel conseil lui donnerais-tu pour l’aider à affronter la vie ?
Quoique tu fasses, donne le meilleur de toi ! J’ai un garçon de 15 ans et il est assez sûr de lui… Ma fille l’est un peu moins. Parfois, elle vient me voir en me disant : « Papa, ce n’est pas suffisamment bien ce que j’ai fait ». Je lui réponds que oui, elle peut faire mieux. Mais que déjà, elle a fait. Ça c’est le plus important. Et qu’à force de travail elle va progresser et faire mieux. Il faut apprendre aux enfants à avoir confiance en eux. Ils doivent avoir la peau d’un alligator ! Solide pour affronter la vie qui ne fait pas de cadeaux. Les enfants, croyez en vous ! Soyez reconnaissants envers vos parents, profitez de la vie en vous amusant !
Texte et photo 1 : François Capdeville
Setlist
1. I’m Ready (Muddy Waters)
2. Going Down (Freddie King)
3. Boom Boom (John Lee Hooker)
4. Black Betty (Lead Belly)
5. The Thrill Is Gone (B.B. King)
6. Born Under A Bad Sign (Albert King)
7. Crossroads (Robert Johnson)
8. Sweet Home Chicago (Robert Johnson)
9. Walking the Dog (Rufus Thomas)
10. Little Red Rooster (Howlin’ Wolf)