We Came as Romans, Because We’re Doomed : L’éclat du désespoir
Il y a des albums qui ne se contentent pas de résonner dans les oreilles, mais s’enfoncent dans la chair. Des disques qui ne racontent pas seulement une histoire, mais la traversent comme un cri, une prière ou une blessure qu’on n’a jamais vraiment refermée. All Is Beautiful… Because We’re Doomed, le nouveau chapitre de We Came As Romans, est de ceux-là. Un manifeste incandescent, né des cendres, tendu entre le deuil et la renaissance, entre la brutalité du monde et l’étrange beauté qu’on y devine encore.
Dès les premières notes, quelque chose vacille : un équilibre fragile entre chaos et clarté, entre la violence du metalcore, les assauts de l’électronique, et une lucidité presque poétique dans l’écriture. Rien n’est laissé au hasard. Ici, chaque son, chaque silence, chaque transition semble porter le poids d’un combat intérieur. Car ce disque n’est pas une collection de morceaux : c’est un voyage, une plongée dans une psyché à vif, une cartographie des cicatrices.
Le premier éclat, Bad Luck, résonne comme un aveu. Le groupe s’y confronte à ses fantômes, à ces années d’épreuves qui auraient pu les briser. Il y a dans cette chanson la sensation d’une fatalité, presque d’une malédiction. Mais aussi, en filigrane, une force obstinée, une lumière qui perce les fissures. Parce qu’on ne survit pas à l’adversité en la contournant. On la regarde droit dans les yeux. Et on avance.
Puis vient Culture Wound, l’un des sommets de l’album. Pensé d’abord comme une critique de l’addiction et des puissances pharmaceutiques, le morceau se transforme, en studio, en quelque chose de plus profond, plus dérangeant encore. Une question suspendue : sommes-nous le poison ou l’antidote ? Ce n’est plus une chanson : c’est une plaie ouverte. Une réflexion vertigineuse sur l’espèce humaine, sa violence, sa beauté, sa capacité à créer, à aimer, à détruire. Le groupe y atteint une maturité nouvelle, à la fois musicale et philosophique.
Where Did You Go, troisième single dévoilé, prolonge cette quête intérieure. Il y est question de perte, mais aussi de soi. D’un soi qu’on croyait connaître, puis qu’on voit s’éloigner, s’éteindre. Dans un monde qui nous tire dans toutes les directions, cette chanson est un murmure, une boussole brisée qui continue malgré tout de chercher le nord. Une supplique douce et douloureuse : où es-tu passé ?
Mais aucune mue ne se fait sans douleur. Et derrière cette ambition, une absence demeure. Celle de Kyle Pavone, chanteur et âme du groupe, disparu trop tôt. Son ombre plane sur chaque refrain, chaque montée en puissance. Plutôt que de figer son souvenir, We Came As Romans a choisi de le prolonger. Non pas en l’imitant, mais en créant au-delà. En explorant des territoires qu’ils n’auraient peut-être jamais osé approcher. C’est ainsi que l’on honore vraiment les disparus : en continuant de bâtir sur ce qu’ils ont laissé.
L’univers visuel de l’album accompagne parfaitement cette traversée émotionnelle. La pochette, signée Aaron Nandor, représente une grotte aux couleurs éclatantes, comme un rêve au cœur de la pierre. Un refuge ou une prison ? Une aurore ou un crépuscule ? Nul ne sait. Et c’est toute la force de cette image : symboliser ce paradoxe qui habite l’album. La vie, dans tout ce qu’elle a de plus incertain, de plus sublime, de plus terrifiant.
Mais derrière le fracas, Andy Glass nous laisse un message d’une bouleversante simplicité. Un appel à ne pas abandonner. À continuer, même dans l’obscurité. À créer, surtout quand on pense ne plus avoir rien à dire. Car parfois, il suffit d’un pas de plus pour toucher à quelque chose de grand. Quelque chose qui nous dépasse. Quelque chose qui sauve.
All Is Beautiful… Because We’re Doomed est un disque de contrastes. De paradoxes. De douleurs qui illuminent. C’est un cri qui dit : tout est foutu, et pourtant, tout est encore possible. C’est peut-être là, dans cet entre-deux fragile, que l’art trouve son sens le plus vrai.
We Came As Romans défendra cet album sur scène, notamment au Trabendo à Paris, le 1er octobre 2025. Une salle qu’ils connaissent, qu’ils aiment, et où l’énergie du public transforme chaque concert en cérémonie. Entre stage dives, cris du cœur et communion brute, nul doute que ce sera l’un de ces soirs où tout bascule.
Chronique par Emma
