Le quintet britannique Split Chain, venu des profondeurs électriques de Bristol, trace une trajectoire fulgurante dans le ciel du Metal émergent. Signés tout récemment chez Epitaph Records, les cinq musiciens livrent, avec Motionblur, leur premier album – une œuvre de onze titres sortie le 11 juillet, à la fois cri du cœur et passage de relais entre deux âges de la vie.

Motionblur, c’est d’abord un récit initiatique, celui d’une jeunesse en transit, d’âmes encore frémissantes aux frontières du monde adulte. Mais loin d’une simple chronique nostalgique, le disque s’érige en ode puissante à l’adolescence, Ses vertiges, ses failles, ses élans. Il en épouse les contours flous, les déchirures, les exaltations. Car derrière la rugosité des riffs et les nappes saturées se dessinent des thèmes universels et douloureusement contemporains : la santé mentale, les relations toxiques, l’identité qui vacille et se reconstruit dans les éclats du chaos.
Décrit par le bassiste Tom Davies comme une exploration intime du passage à l’âge adulte, Motionblur est une œuvre dense, tour à tour introspective et cathartique. Un disque qui ne craint pas les contrastes : il alterne les lentes montées d’angoisse et les rafales de colère, la lourde mélancolie des souvenirs et l’adrénaline brutale du présent. C’est un labyrinthe émotionnel où l’on s’égare volontiers, guidé par une voix tantôt spectrale, tantôt furieuse.

La musique de Split Chain évoque irrésistiblement certains géants des années 90 : Deftones, Helmet, Hum, sans jamais sombrer dans l’imitation servile. Leur signature sonore repose sur une tension constante : le chant clair et atmosphérique de Bert Martinez‑Cowles plane au-dessus de riffs massifs, simples mais écrasants, construisant un mur du son maîtrisé avec une rare précision. Chaque note semble pesée, chaque rupture pensée pour laisser s’exprimer la faille. La production, ample sans être excessive, laisse respirer les nuances tout en maintenant une intensité viscérale.
Dès les premières secondes, une certitude s’impose : le groupe sait où il va, et plus encore, pourquoi il y va. Les guitares cisaillent l’espace, les percussions résonnent comme des coups portés à l’intérieur de soi, et la voix de Martinez‑Cowles se fait le vecteur d’une lutte intérieure intense, non pas une plainte, mais un exutoire, un cri pour recoller les morceaux de ce qui fut brisé.
Parmi les titres phares, Subside se détache avec sa puissance frontale, brute et incisive, véritable condensé de rage canalisée, tandis que bored. tired. torn explore des sphères plus aériennes, quasi oniriques. Cette capacité à naviguer entre ciel et gouffre, entre grunge, néo-metal et shoegaze, forge l’identité mouvante du groupe : à la fois rageur et vulnérable.
En à peine plus de quarante minutes, Split Chain impose une esthétique, un souffle, un équilibre subtil entre fragilité et puissance. L’album n’est pas exempt d’aspérités : certains morceaux s’éclipsent trop tôt, frôlant un climax qui ne vient jamais, et l’ombre de leurs influences rôde encore un peu trop près. Mais c’est justement dans ces imperfections, dans ces hésitations et ces élans bruts, que réside toute la beauté d’un premier disque : une œuvre en mouvement, vivante, portée par l’urgence de dire.
Motionblur n’est pas seulement un album : c’est un flou en accéléré, une cicatrice qui vibre encore, un premier cri jeté dans le vide, avec la foi brutale et sincère de ceux qui n’ont rien à perdre, sauf eux-mêmes.
Chronique : Emma Forestier
Photo : François Capdeville