ll y a chez certains musiciens un rapport au monde qui passe exclusivement par le son. Chez Gabriel Palmieri, la guitare est un prolongement de la pensée, de l’intime, un langage plus naturel que les mots. Depuis plus de trente ans, il façonne son univers au fil des cordes, entre tension et lumière, entre technique et émotion. Guitariste accompli, ancré en Moselle, il partage sa vie entre les scènes survoltées de Lords of Rock, groupe de reprises qu’il fait vibrer de sa virtuosité, et les sphères plus brutales du thrash metal. Mais c’est dans la solitude du studio que son véritable monde intérieur s’exprime.

Au printemps dernier, il livre Portrait of Existence, son tout premier album solo. Un titre révélateur. Ce disque n’est pas simplement un recueil de compositions; il est un autoportrait sonore, un carnet intime rendu public, le fruit d’une vie d’écoute, de recherche, de silence aussi. Dans cet album, il rassemble les fragments d’une trajectoire musicale vaste, multiple, à la fois profondément personnelle et ouverte aux influences du monde entier. Du métal à la fusion, du jazz à l’électronique, tout ce qui l’a façonné s’y condense dans une cohérence troublante.
L’album a été entièrement conçu dans le secret de son home studio. Seul, il a composé, arrangé, enregistré. Chaque note, chaque souffle, chaque silence a été pesé, modelé. Puis, dans un second souffle, des amis sont venus déposer leur empreinte : une basse vibrante jouée par sa compagne, des claviers rêveurs, des batteries ciselées, des collaborations précises et délicates, venues enrichir une matière déjà dense. Le tout magnifié par un mixage subtil réalisé à Metz, dans un travail de profondeur et d’espace sonore qui donne à l’album sa respiration singulière.
"Portrait of Existence" est un disque sans chanteur, mais jamais sans voix. Car ici, c’est la guitare qui parle, qui chante, qui se souvient. Elle n’éblouit pas, elle raconte. Elle ne cherche pas à impressionner mais à émouvoir. La virtuosité est présente, indéniable, mais toujours domptée, canalisée, mise au service d’une narration intérieure. Chaque morceau devient ainsi une scène, un tableau, un moment suspendu. Les thèmes mélodiques remplacent les refrains, les textures remplacent les paroles.
Parmi ces pièces instrumentales, certaines s’imposent avec une intensité particulière. "The Last Moon", notamment, semble flotter dans une nuit irréelle, entre rêverie et gravité. Composé en hommage à un ami développeur de jeux vidéo, le morceau s’inspire d’un univers imaginaire à venir, mais résonne comme un chant très ancien, presque mythologique. La guitare y devient spectrale, lumineuse, traversée d’ombres douces.
L’album ne se contente pas d’être écouté. Il se donne aussi à lire et à jouer. Accompagné d’un songbook pour guitare, il porte en lui une dimension pédagogique assumée. En ces temps où les concerts se font plus rares, Ga imagine un autre mode de transmission : celui de la masterclass, de la rencontre, du partage entre musiciens. Car derrière le compositeur exigeant se cache aussi un passeur, un guide pour ceux qui cherchent à comprendre non seulement comment on joue, mais pourquoi on joue.
Rien n’a été laissé au hasard dans ce projet, jusqu’à la pochette, confiée à un graphiste qui, sans le connaître personnellement, a su capter son univers, son équilibre entre force et délicatesse. Visuellement comme musicalement, tout dans cet album tend vers l’essentiel : exprimer une vision du monde à travers un instrument. Offrir un regard sur l’existence par le prisme du son.
Gabriel ne cherche pas à occuper l’espace médiatique, ni à séduire à tout prix. Il avance à contre-courant, porté par une nécessité intérieure. La sienne est simple, presque évidente : créer. Créer pour dire ce qui ne se dit pas, créer pour transmettre, créer pour exister autrement.
Son premier album en est la preuve éclatante : Portrait of Existence n’est pas seulement un disque. C’est une présence, une œuvre traversée de lumière, d’ombre et de sincérité. Un geste rare, discret, mais essentiel.
Chronique écrite par Emmanuelle Forestier