18/9/2025

Tartiflette infernale : la messe noire d’Igorrr

J’ai découvert Igorrr dans les années 2010 avec ses albums auto-produits Poisson Soluble et Moisissure. Dès le début, j’ai été séduite par l’aspect foutraque, dadaïste et audacieux de ses créations, portées par des titres évocateurs (Pizza aux Narines, Valse en Décomposition, Oesophage de Tourterelle). Aujourd’hui, Igorrr (alias du musicien français Gautier Serre) revient pour nous présenter son septième opus, Amen

Très marqué par les choeurs et par une esthétique black metal, cet album de la maturité s’inscrit dans la continuité de sa dernière production, Spirituality and Distorsion, sans sacrifier au désir insatiable d’expérimentation musicale et à “l’obsession pour le son parfait” de son créateur. Tel un alchimiste, Igorrr distille, toujours plus savamment, les instrumentations mélodieuses et les voix opératiques dans des cantiques infernaux, hurlements organiques et guitares saturées. Plongeons dans l’univers barocco-satanique de ce compositeur génial. 

Dès le premier morceau, Daemoni, l’auditeur plonge dans l’ambiance d’une messe satanique et brutale, dont l’ombre planera sur tout l’album. Le choix des titres donne la couleur : Infestis, Limbo, Ancient Sun, Pure Disproportionate Black and White Nihilism. Tout évoque les contours d’une musique viscérale et impie, magnifiquement portée par la voix death d’un JB Le Bail en pleine forme, la batterie délirante de Remi Serafino et les accords saturés de Martyn Clement. Le rythme martial d’Infestis, passée la première minute, et la montée en tension de Pure Disproportionate Black and White Nihilism, tiennent magnifiquement l’audience en haleine, conjurant la puissance infernale des trois musiciens. 

Amateur de musique sacrée, Igorrr y puise souvent son inspiration pour les titres de ses compositions et albums (Hallelujah, Amen, Absolute Psalm, ieuD…). Et que serait la musique sacrée sans un choeur ? Pour ce nouvel opus, le compositeur s’offre un ensemble vocal professionnel, enregistré dans la réverbération solennelle d’une église. Les amoureux de genres divers y trouveront leur compte : l’ouverture de Limbo sur une puissante symphonie de voix rappellera aux amateurs de black metal la grandeur lovecraftienne d’At the Gates of Midian de Cradle of Filth, tandis qu’Étude n°120 saura ravir les aficionados du baroque le plus classique. 

Bien plus “lourd” musicalement que ses prédécesseurs, Amen fait cependant la part belle aux harmonies et à une diversité instrumentale toujours plus poussée. Les pianos et clavecins, fidèles compagnons des compositions igorrriennes (Headbutt, ADHD) côtoient ici une guitare acoustique dominante dans les morceaux les plus doux (Ancient Sun, Etude n°120, Silence). À cette palette familière s’ajoutent des instruments plus insolites : la harpe, le thérémine, ou encore le dung-chen — un cor en laiton de trois mètres utilisé dans les cérémonies bouddhistes.

Les sonorités orientales y sont, une fois encore, explorées : si le réjouissant Blastbeat Falafel rappellera l’ambiance délurée de Camel Dancefloor, les voix enchanteresses de Marthe Alexander (Ancient Sun) et de Lily Refrain (Limbo), véritables fils de lumière dans cet opus ténébreux, évoquent davantage le mélodieux chant des sirènes. L’extase lyrique est portée à son sommet dans les deux musiques finales, dont la puissance symphonique et orchestrale n’aura rien à envier aux bandes sonores de films cultes. 

Igorrr, cependant, ne serait pas Igorrr sans débordements créatifs et expérimentations. ADHD illustre parfaitement sa maîtrise de la conjugaison des styles, mêlant machines électroniques, clavecin puissant et flûte dans une composition baroque évoquant les méandres d’une pensée qui ne s’arrête jamais. Headbutt, parfaite illustration de ses influences (mélodie chopinienne, voix éthérée de Marthe Alexander, batterie agressive et hurlements de JB Le Bail), met en scène un tout nouvel instrument : un excavateur, utilisé pour frapper violemment les touches du piano qui finira par rendre l’âme (je vous invite à voir le clip).  Mustard Mucuous, un des morceaux les plus brutaux de l’album (Scott Ian d’Anthrax à la guitare), nous tabasse de cris, de distorsions, et d’impacts de batterie diabolique, entrecoupés d’une partition de flûte volontairement dysharmonique. Mais c’est 2020 qui reste ici mon préféré : 12 secondes de hurlements ininterrompus. C’est tout. Ca rappellera des souvenirs. 

Igorrr nous livre un album travaillé, intensément homogène, qui plaira aux fans de Spirituality & Distorsion, et saura s’adresser à un public en recherche d’expériences musicales nouvelles. Sa collaboration avec différents artistes — l’ensemble vocal, le bassiste Mike Leon, les guitaristes Scott Ian et Trey Spruance (Mr. Bungle), ou encore le violoniste Timba Harris — apporte une cohérence et une couleur singulière à ses compositions. Si cette approche séduira peut-être moins les amateurs de ses bizarreries musicales, elle ne renie en rien son originalité. Amen prouve, encore une fois, que personne ne fait de la musique comme Igorrr, et que le son igorrrien, qu’il qualifie lui-même de “Tartiflette”, a encore de beaux jours devant lui.

Texte : Blandus (Blandine)

Tracklist

1. Daemoni (feat. Mike Leon, Timba Harris)

2. Headbutt (feat. Mike Leon)

3. Limbo (feat. Lily Refrain, Mike Leon)

4. Blastbeat Falafel (feat. Trey Spruance (Mr. Bungle), Timba Harris)

5. ADHD (Timba Harris)

6. 2020

7. Mustard Mucous (feat. Scott Ian (Anthrax, Mr. Bungle)

8. Infestis (Mike Leon)

9. Ancient Sun (Timba Harris, Lily Refrain)

10. Pure Disproportionate Black and White Nihilism (Mike Leon)

11. Étude n°120

12. Silence

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